Ce numéro vise à interroger les usages de l'histoire dans les productions audiovisuelles de fiction télévisuelle, notamment en Amérique latine. En particulier, cet appel cherche à se concentrer (mais pas seulement) sur les séries de fiction à contenu historique et leur utilisation pour l'éducation à la citoyenneté dans l'aire culturelle sud-américaine hispanophone et lusophone. Il propose donc un travail interdisciplinaire dont l'axe est le suivant : comment les discours sociaux et historiques des séries peuvent-ils promouvoir l'éducation à la citoyenneté dans le présent ?
D'une part, de nombreux feuilletons et séries produits dans le contexte latino-américain situent leur action dans une époque passée : la Conquête (Inés del Alma Mía, Chili), l'époque coloniale (Sitiados, Chili, Siempre Bruja, Colombie, etc.), le XIXe siècle (Terra Nostra, Brésil), les années 1930 (Vientos de Agua, Argentine) et le présent (Vientos de la Historia).
L'histoire de l'Amérique du Nord et du Sud est également marquée par les années 1950 (Perdona Nuestros Pecados, Chili), les années 1960 et 1970 (Ramona et 62 : Historia de un Mundial, Chili) ou l'histoire récente et en particulier les contextes autoritaires (Los Archivos del Cardenal, Ecos del desierto et Los 80, Chili) ou critiques (Okupas, Argentine). L'histoire est également abordée sous l'angle de l'évolution sociale et politique (1994, à l'occasion de la fin des 70 ans de gouvernement du PRI au Mexique), des personnalités politiques (12 años, sur Pepe Mujica, Mexique), les événements politiques locaux (Colosio. Historia de un crimen, sur l'assassinat d'un candidat à la présidence mexicaine à Tijuana), ou encore des temporalités professionnelles (Bala Loca, sur la pratique du journalisme), entre autres.
Nous proposons d'interroger le travail d'inscription du passé dans les productions audiovisuelles latino-américaines de fiction télévisuelle et leurs résonances dans le présent, en tant que laboratoires de formation citoyenne et politique.
En ce sens, nous nous interrogeons sur la particularité de cette opération historique dans la fiction sérielle latino-américaine, dont nous pouvons rapidement synthétiser les traditions et les spécificités à partir des Cultural Studies. Ce courant a problématisé le format typique de la fiction télévisée, la telenovela, et ses représentations des multiples voies empruntées par les processus de modernisation en Amérique latine, en montrant notamment la ville tentaculaire, l'exode rural et la marginalité. Selon Martín Barbero et Muñoz (1992), la spécificité de ces productions réside dans la modalité mélodramatique de la représentation, qui interpelle le spectateur, active des processus audiovisuels d'identification et génère des constructions identitaires, des imaginaires et des espaces de reconnaissance sociale. Les séries télévisées montrent l'expérience quotidienne de la modernité et de l'hégémonie culturelle à travers l'expérimentation d'affects excessifs générés par la tension entre progrès et fatalité. Ces spécificités semblent transformées par la diversification et l'hybridation des formats de fiction télévisuelle sérialisée, la production internationale et une industrie qui a pour cible un public plutôt international. Cependant, on peut déceler dans ces productions sérielles un substrat latino-américain, des traits de telenovela, ainsi qu'une tension entre globalisation et exotisation. En d'autres termes, comment les séries historiques latino-américaines participent-elles à ce travail et sont-elles traversées par ces tensions ? Quelles sont les spécificités qu'elles présentent à la fois dans la représentation de l'histoire et par rapport aux productions audiovisuelles non historiques de la fiction télévisuelle ?
Il s'agit ici de s'interroger sur les usages de l'histoire proposés par les productions audiovisuelles latino-américaines de fiction télévisuelle et sur la manière dont elles reconstruisent le présent. Comment représentent-elles le passé ? Comment le passé devient-il fiction ? Comment est-il traité dans le format du film sériel ? Comment le passé est-il transformé en ressource narrative ? Entre histoire et mémoire, quelle est l'opération historique réalisée par ces productions télévisuelles ? Et quelle est la politisation de cette opération ?
Un premier angle d'analyse consiste à s'interroger sur les périodes indiquées : s'agit-il plutôt d'œuvres de longue haleine, qui s'inscrivent dans des vagues d'intrigues ? Ou, au contraire, s'agit-il plutôt d'histoires basées sur des événements ponctuels ? Ce premier axe vise à interroger l'opération architecturale menée au présent sur le temps historique dans les fictions sérielles, ce dont on parle et ce dont on ne parle pas.Une deuxième entrée problématique consiste à rechercher la distance entre les représentations sérielles du passé et les différentes analyses historiques. Les productions télévisuelles fictionnelles fonctionnent-elles comme des manuels d'histoire ou du matériel pédagogique ? Comment construisent-elles leur véracité et leur similitude historiques ? Quelles sont les opérations de resignification historique qui s'opèrent dans ces productions ? Quelles sont les opérations de resignification historique qui s'opèrent dans la médiation de ces productions ? Ce deuxième axe vise à questionner les modèles narratifs de l'histoire (chronologique, répétitif, cyclique, stratifié) dans ces formats sériels et leur communicabilité.
Une troisième approche consiste à interroger les sérialités, afin de mieux comprendre comment ces périodes sont perçues dans le présent. Que nous disent ces "productions audiovisuelles historiques" sur le présent ? Comment les temporalités de ces formats travaillent-elles avec les temps de l'histoire ? Quels sont les contextes significatifs des productions de fictions télévisuelles historiques ?
Une quatrième et dernière perspective interroge le réalisme historique de ces productions à partir de leurs télévisualités. Dans le jeu des limites entre fiction et réalisme, comment les outils filmiques privilégient-ils les mouvements simultanés mais divergents des différentes temporalités historiques ? Ce quatrième axe vise à interroger l'histoire des possibilités non réalisées dans ces formats.