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Nous nous proposons d’explorer la polysémie du vocable « mouvement » qui ouvre, à notre sens, un large éventail épistémologique et disciplinaire lié aux féminisme(s) dans l’aire hispanophone (Amérique Latine, Espagne et Guinée Équatoriale).

Lors de cette journée d’études, qui s’inscrit dans le cadre des activités du Centro Chispa (Cultures Hispaniques et Hispano-américaines) et du SIRENH (Séminaire Interdisciplinaire de Recherches sur la Narration et l’Histoire), nous nous proposons d’explorer la polysémie du vocable « mouvement » qui ouvre, à notre sens, un large éventail épistémologique et disciplinaire lié aux féminisme(s) dans l’aire hispanophone (Amérique Latine, Espagne et Guinée Équatoriale). Lorsqu’on se penche sur la bibliographie de référence, il n’est effectivement pas rare que les spécialistes s’expriment en termes de « mouvement » (féministe) pour se référer au phénomène sociétal et militant qui traverse l’époque contemporaine, d’autant plus lorsqu’ils·elles le segmentent diachroniquement en plusieurs « vagues[1] » – une « masse d'eau de la mer, d'une rivière ou d'un lac, qui est agitée et soulevée par les vents, ou par une autre impulsion » (Littré) –, exploitant ainsi le versant figuré du terme. 

Il est communément admis de faire débuter la première vague en pleine Révolution française, période durant laquelle des femmes, parmi lesquelles Olympe de Gouges, Madeleine Pelletier ou, plus tard, Jeanne Deroin et Hubertine Auclert, sont en quête de droits civiques en relation avec la propriété, l’éducation, le travail, la sécurité et la reproduction. Cet élan, prolongé au XIXe siècle par les suffragettes anglaises, connaîtrait ensuite une phase montante dans les années 1960-1970, avec le Women’s Liberation Movement (WLB) aux États-Unis et le Mouvement de Libération des Femmes[2] (MLF) en France, vingt ans après la publication de l’essai féministe de Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe (1949). S’inscrivant dans la dynamique des mobilisations de mai 1968, les militantes revendiquent, entre autres, l’accès à la contraception et à la légalisation de l’avortement. Au même moment, c’est au contraire l’arrêt des stérilisations forcées subies par les femmes noires qui est clamé dans les espaces anciennement colonisés comme l’île de La Réunion ou Porto Rico. On estime, par ailleurs, que les années 1980 sont marquées par une troisième vague portée, dans sa grande majorité, par des activistes issues de groupes minoritaires (femmes racisées, lesbiennes, prostituées etc.), faisant émerger, ce que les théories queer et trans nomment désormais, « l’intersectionnalité[3] ». Depuis les années 2000[4], nous serions donc témoins d’une quatrième vague féministe globale largement orientée vers la lutte contre les violences de genres (féminicides, violences sexistes et sexuelles, harcèlement moral etc.). Si le caractère international du mouvement n’a rien d’inédit, on peut souligner la résonnance de cette dernière vague dans l’ensemble de l’aire hispanophone, notamment grâce à l’essor des réseaux sociaux et des plateformes numériques qui en sont, aujourd’hui, le principal projecteur. Avec la création de la Ley Orgánica de Medidas de Protección Integral contra la Violencia de Género, le 28 décembre 2004, l’Espagne devient notamment un pays pionnier en matière de lutte contre les violences faites aux femmes[5]. Le mouvement des Indignés, aussi connu comme le 15-M, suivi du pouvoir rassembleur des grèves du 8 mars a, en outre, consolidé le mouvement national particulièrement actif depuis 2018. Comme le déclare Rosa Cobo, professeure de sociologie et directrice du Centre des Études de Genre et Féministes à l’Université de La Coruña, « cela faisait des années que l’on n’avait pas vu des manifestations aussi massives et intergénérationnelles » (Cobo, 2019 : 134). À la même époque, le cas judiciaire de « La Manada »[6], largement relayé sur les réseaux sociaux, déclenche également d’importantes manifestations dans l’espace public mais aussi sur la sphère numérique. Le #MeToo, devenu célèbre en octobre 2017 aux États-Unis pour dénoncer les violences, les agressions et les viols subis, en grande majorité, par les femmes, voit émerger son équivalent espagnol avec le #Cuéntalo et le #YoTambién. C’est aussi le #BalanceTonPorc qui se démocratise en France, le #QuellaVoltaChe en Italie, le #MoiAussi au Québec, le #PasSansElles en Guinée Équatoriale ou encore le #VivasNosQueremos au Mexique.   

L’Europe n’est donc pas le seul territoire à être traversé par cette quatrième vague féministe. L’Amérique Hispanique a aussi vu émerger le phénomène « Ni una menos » qui, bien qu’il prenne naissance sur le sol argentin en 2015, s’est rapidement répandu dans le sous-continent (Uruguay, Chili, Pérou, Mexique), faisant suite à un constat alarmant, à savoir celui d’une augmentation significative des violences de genre et du nombre de féminicides, dans les villes comme dans les espaces ruraux (en 2015, on recense par exemple 411 victimes au Mexique, 312 au Honduras, 274 au Salvador, 235 en Argentine et 103 au Pérou[7]). Cet élan collectif a, par ailleurs, accompagné les projets de loi en faveur de la dépénalisation de l’I.V.G. qui ont fait, au cours de la dernière décennie, l’objet de débats politiques et publics dans de nombreux pays. Si Cuba a été l’un des précurseurs en devenant en 1965 le premier état hispano-américain à légaliser l’avortement, il faut attendre 2012 pour que l’Uruguay s’inscrive dans son sillage, l’an 2021, pour que s’ajoutent le Mexique et l’Argentine et très récemment, en 2022, c’est la Colombie qui a vu les foulards verts s’agiter[8]. Peu de pays ont donc, à ce jour, obtenu le plein droit à l’avortement[9], à l’image du Guatemala qui, le 8 mars dernier, votait un projet de loi[10] qui condamnerait à 10 ans de prison les personnes souhaitant avorter. 

Nous l’aurons compris, la marée, qu’elle soit verte ou violette, s’est propagée dans la majorité de l’aire hispanophone, consolidant ainsi un mouvement féministe à l’échelle internationale qui se veut le reflet d’un militantisme générationnel. Or, la réappropriation des rues, des scènes ou des écrans par la circulation des corps est un versant fondamental de ces mobilisations. La capacité mouvante de notre être pensant s’avère en effet, pour les activistes, être un outil de communication, de protestation et de revendication. C’est pourquoi, nous partons du postulat que le mouvement, « déplacement […] par rapport à un point fixe de l'espace et à un moment déterminé. » (TLFi), offre aux individus la capacité d’« habiter » (Lamizet, 2002) le monde qui les entoure et d’y prendre position, faisant de ces espaces publics et privés des lieux d’ « activation politique » (Christian Ruby, 2007 : 11) bien souvent générée par une occupation créative de ceux-ci. S’il est vecteur de « sensible » au sens kantien voire ranciérien du terme – « des formes de visibilité des pratiques de l’art, du lieu qu’elles occupent, de ce qu’elles « font » au regard du commun. » (Rancière, 2000) – le mouvement serait en effet capable de revêtir une dimension esthétique. Que ce soit par le déplacement des corps (danse, performance[11], théâtre), des voix (discursives, textuelles, musicales), d’un objectif (photographie), d’une caméra (cinéma) ou encore d’un pinceau (peinture, gravure, collage, graffiti, muralisme), les mouvements féministes sont un vivier de la création artistique. On pense par exemple aux répertoires engagés de la rappeuse guatémaltèque Rebecca Lane ; aux textes de la « percuautora » espagnole Virginia Rodrigo qui, par l’humour, cherche à questionner les rouages du système patriarcal ; aux artistes urbaines du collectif argentin AMMurA (Agrupación de Mujeres Muralistas Argentinas) qui habillent, par le geste pictural, les murs de leur pays de dessins et de textes contestataires ; aux performeuses chiliennes « Las Tesis » dont les paroles Un violador en tu camino ont été traduites, depuis 2019, dans plus de 10 langues ; aux danseur·euse·s de flamenco espagnol·e·s (Patricia Guerrero, Rocío Molina, Fernando López Rodríguez) qui tentent de bouleverser les stéréotypes associés aux genres ou encore aux modèles équatoguinéenes qui, dans le cadre du projet « Mujer Ideal » de Lucas Nguema Escalada, cherchent à réhabiliter des femmes inspirantes.

Dans le but d’identifier les caractéristiques de ces « arts féministes » qui ont vu le jour dans l’aire hispanophone depuis les années 2010, nous nous appuyons, par ailleurs, sur le concept de « féminisme artistique », développé par l’historienne de l’Art argentine Andrea Giunta dans son ouvrage Feminismo y arte latinoamericano: historias de artistas que emanciparon el cuerpo (2019) et qu’elle définit comme les « lenguajes capaces de dar cuenta de una comprensión del cuerpo, de la sensibilidad, o del paisaje, excluidos de una historia del arte construida desde una perspectiva masculina[12] » (Giunta, 263). 

Nous recueillerons donc des propositions de communication qui se centreront sur les productions artistiques « en mouvement ».  Nous faisons ainsi appel aux chercheur·e·s spécialisé·e·s dans les études de genre, les études culturelles, les études hispaniques et hispano-américaines, l’histoire de l’Art, les arts plastiques, les sciences politiques, la sociologie ou encore l’anthropologie. 

Quelques axes thématiques non limitatifs qui pourront faire l’objet de questionnements :
 
Axe 1. Féminismes en mouvement dans les espaces d’exposition

Nombreuses sont les représentations artistiques explicitement féministes (performance, conférences musicalisées/dansées, défilés de mode) qui investissent des lieux culturels fermés comme les musées, les cinémas ou les galeries.  Quel est l’impact de ces représentations dans une société où le numérique prend de plus en plus d’ampleur et où les espaces d’exposition peuvent être perçus comme élitistes et discriminants (Bourdieu, 1966) ? Les discours féministes proposés par les artistes parviennent-ils à atteindre le grand public et, si oui, quelles stratégies et mécanismes les caractérisent-ils? Comment se positionnent les institutions culturelles face à ces initiatives ?  

Axe 2. Féminismes en mouvement sur les scènes professionnelles et amateurs

Les arts féministes (danse, chant, musique, théâtre, spectacles humoristiques) se logent également sur les scènes professionnelles et amateurs. C’est le cas de certains spectacles de flamenco dont les discours artistiques engagés trouve aussi bien leur place dans des espaces dits conventionnels (Mujer de Pie, Sara Cano, 2020) qu’alternatifs (Bailes de histéricas, Carmen Muñoz, 2019). Citons par ailleurs la compagnie salvadorienne « Cachada Teatro » constituée de femmes issues de l’économie informelle qui, par le pouvoir libérateur de la mise en scène théâtrale,  cherchent à rendre visible l’oppression sociétale dont elles sont victimes. 

L’humour est également un outil auquel les artistes féministes ont de plus en plus recours. En témoignent l’essor des one woman shows, parmi lesquels ceux de la youtubeuse trans Elsa Ruiz et de la madrilène Nerea Pérez de la Heras, autrice de l’ouvrage Feminismo para torpes (2019). 

Quelle place occupent ces représentations dans la société contemporaine? La scène pouvant être un lieu privilégié de l’expression de l’intime pour certain·e·s artistes, comment s’imbriquent sensibilité esthétique et engagement collectif ? La frontière entre l’artiste et l’individu est-elle aussi nette que l’on pourrait le penser ?  L’art acquiert-il ici un pouvoir cathartique ? 

Axe 3. Féminismes en mouvement dans l’espace urbain 

L’élan féministe contemporain s’est accompagné de manifestations, que ce soit en Espagne (8M) ou en Amérique Latine (Ni una menos en Argentine et au Mexique notamment, Que sea ley en Argentine, el estallido feminista au Chili), qui s’organisent à même les villes. Les militantes se réapproprient les rues dans lesquelles elles se sentent habituellement en danger afin de les resémantiser et de les resymboliser. Il n’est donc pas rare que des arts visuels (art urbain, affiches, landart, collages), musicaux (rap, hymnes contestataires) ou corporels (performance, théâtre de rue), plus ou moins pérennes, se logent dans ces rassemblements. Quelles sont les modalités de ces arts urbains ? Dans quelle mesure parviennent-ils à organiser des espaces de réflexion et de délibération citoyenne ? Comment dialoguent-ils avec la sémiotique urbaine qui les entoure ? 
 

Axe 4. Féminismes en mouvement à l’ère du numérique

L’essor des réseaux sociaux depuis 2015, ajouté à un contexte de pandémie mondiale, nous ont amené·e·s à repenser nos modes d’interactions ainsi que les modalités de circulation des idées. Le champ artistique n’y a pas échappé puisque nombreux sont celles et ceux qui utilisent les plateformes numériques afin de diffuser leurs œuvres engagées auprès d’un large public. Quels nouveaux langages féministes offre l’espace numérique ? En quoi favorise-il une portée internationale du mouvement ? Quelle place est conférée au spectateur-internaute ? Quelles sont les éventuelles limites de ces avancées technologiques ? 
 
Axe 5. Mouvement de la réception et réception en mouvement (axe tranversal)

Enfin, une attention particulière sera portée à la réception artistique. Face à des productions militantes, l’ « expérience esthétique » (Schaeffer, 2015) du.de la spectateur·rice est-elle repensée ? Quel rôle occupe-t-il·elle lorsque qu’il·elle est notamment confronté·e, sans « objet de médiation » (Casemajor Loustau, Gellereau, 2008), au sujet artistique (rupture du quatrième mur au théâtre, participation active du passant dans un contexte urbain, interpellation du.de la récepteur·rice lors de spectacles humoristiques ou musicaux etc.) ?   


La journée d’étude se tiendra le lundi 20 juin 2022 en format hybride, à l’Université Bordeaux Montaigne pour le présentiel et via Zoom pour le distanciel.

Les communications, tenues en français ou en espagnol et d’une durée de 20 minutes de temps de parole, seront suivies d’une discussion. 
 
Modalités de soumission:

Les propositions de communication, rédigées en français ou en espagnol devront comporter :

- Le nom et l’adresse mail de l’auteur ou des auteurs
- Les affiliations institutionnelles
- Le titre de la communication
- Un résumé de la communication de 500 mots maximum
- Une présentation biobibliographique succincte de 200 mots maximum
- Une précision quant au mode choisi (présentiel ou distanciel)
 
Elles devront être envoyées, au format .doc ou .pdf, au plus tard le 2 mai 2022, à Julie Olivier (julie.olivier@u-bordeaux-montaigne.fr) et à Caroline Prévost (caroline.prevost@u-bordeaux-montaigne.fr). 

Comité d’organisation : Julie Olivier (Ameriber-CHISPA / UBM) et Caroline Prévost (Ameriber-SIRENH / UBM). 

Comité scientifique : Jesús Alonso Carballés, Cecilia González Scavino, Lise Segas, Isabelle Touton. 

Site internet: https://www.fabula.org/actualites/feminismes-en-mouvement-dans-laire-artistique-hispanophone-des-annees-_107133.php

Chamada de comunicação
Jusqu'au 2 mai 2022
Organisateurs